Evalyn Perry (« Kiinalik : These Sharp Tools »).
Photo: Elysha Poirier
Le théâtre queer d’Evalyn Parry : un théâtre transgressif, critique et drôle
Quelle définition pour le théâtre queer ? À cette question, Evalyn Parry répond de manière personnelle à partir de sa propre pratique dramatique. Elle-même artiste queer, elle revendique ainsi une création dans et pour les marges, porteuse de critique sociale et politique, empreinte d’humour et de dérision. Ses oeuvres, elle les conçoit donc comme des conversations avec son public pour l’amener à repenser les règles hétéro-normées qui régissent le monde contemporain. Une vaste tâche en phase avec les préoccupations actuelles en matière de parité. Rencontre avec Evalyn Parry, créatrice aux multiples talents, pour en apprendre davantage sur sa pratique théâtrale queer.
Evalyn Parry est une créatrice multitâche oeuvrant dans le domaine du théâtre. « Mon champ d’expertise concerne la création, l’écriture, le jeu, la composition musicale et la mise en scène au théâtre », précise-t-elle. Le choix du théâtre comme moyen d’expression n’a pas été laissé au hasard par la metteure en scène. Ce qui l’attire surtout dans le médium, c’est la forme narrative des pièces dramatiques qui met physiquement en présence des acteurs et des spectateurs réels. « J’aime les performances en direct, et j’aime aussi les mots. J’aime l’interactivité avec un public. C’est comme une conversation », décrit-elle. Dans ses créations, la metteure en scène reconnaît souvent la présence du public, allant parfois même jusqu’à l’invectiver. Suivant les préceptes de Bertolt Brecht, elle abat donc régulièrement le quatrième mur qui sépare souvent, de manière imaginaire toutefois, la salle de la scène.
Une autre caractéristique qui attire Evalyn Parry au théâtre, c’est la collaboration entre tous les corps de métier. « J’aime ce côté collaboratif. Je pense d’ailleurs que le théâtre est l’art le plus collaboratif parmi les arts performatifs », commente-t-elle. Pour chacune de ses oeuvres, la metteure en scène réunit autour d’elle une équipe complète de spécialistes en costumes, scénographie, lumières et musique. Elle sollicite la participation de ces spécialistes dès les premières étapes de la création pour intégrer leur travail à sa conception. « Où seront assis les gens ? Comment la lumière sera-t-elle présente ? Comment intégrer les costumes ? », résume-t-elle. L’aspect conversationnel du théâtre ne concerne donc pas uniquement la relation entre les acteurs et les spectateurs : il concerne aussi la relation entre la metteure en scène et son équipe.
C’est ainsi selon ce processus de création qu’a été conçue la pièce de théâtre « Kiinalik : These Sharp Tools », représentée à Espace Libre à Montréal du 12 au 16 mars 2019. Conçue en 2017, l’oeuvre est le fruit de la collaboration d’Evalyn Parry, Laakkuluk Williamson Bathory, Erin Brubacher, Elysha Poirier et Cris Derksen. Tout à la fois concert, conversation et performance multimédia, elle met en scène la rencontre de deux univers distincts, celui de Evalyn Parry et de Laakkuluk Williamson Bathory. D’un côté, le Nord canadien, de l’autre, le Sud. D’un côté, la culture inuit, de l’autre, la culture queer. Des deux côtés, une réflexion sur les normes culturelles et sexuelles qui régissent la société contemporaine. Les réflexions sur le genre et la sexualité sont en effet une constante du travail d’Evalyn Parry.
« Kiinalik : These Sharp Tools ». Photo : Jeremy Mimnagh.
Se définissant comme une artiste queer, Evalyn Parry reconnaît toutefois qu’il n’y a pas de définition spécifique de la création queer. « Être artiste queer ne veut pas nécessairement dire la même chose pour tous ceux qui s’identifient comme tel », confie-t-elle. Très tôt consciente de son identité queer, Evalyn Parry a développé dès ses débuts de carrière des questionnements sur le genre et la sexualité non normatifs. « Mon travail a cependant beaucoup évolué », explique-t-elle. Pour la metteure en scène, l’important est de s’efforcer, par la création, de sortir des cadres et des formats habituels. « Mon but c’est de travailler depuis les marges et avec les marges, de porter un regard critique sur la tendance et d’aborder des thèmes tels que le genre, la sexualité, les rôles », résume Evalyn Parry.
En mettant en action ces principes, l’objectif d’Evalyn Parry est de donner à sentir, mais aussi à penser, à son public. « Mes oeuvres sont plus réflexives que démonstratives. Elles sont une manière de guider les gens, notamment grâce à l’humour. J’aime les pièces qui sont drôles et qui ne se prennent pas trop au sérieux », explique-t-elle. Parce qu’il repose sur les sous-entendus et les non-dits, l’humour est en effet un des meilleurs moyens de suggérer. De cette manière, les oeuvres d’Evalyn Parry portent en elles une critique sociale et politique du monde. « Je ne veux pas faire dans le didactique. J’ai une approche ludique des enjeux de la société contemporaine », conclut-elle.
